Okja : « je dénonce mais pas trop »

ATTENTION !

Si vous n’avez pas encore vu le film, je risque de vous gâcher le plaisir en révélant plusieurs éléments de l’intrigue.

Image : Okja réalisé par Bong Joon-Ho (2017)

C’est inhabituel mais pour une fois je suis à la page ! Voici ma critique de Okja, le film de Bong Joon-Ho qui a été produit par Netflix. En principe, je n’aime pas me lancer dans des commentaires sur des œuvres récemment sorties, j’aime attendre que l’engouement se calme afin de lire plusieurs retours différents. Et éventuellement apporter ma pierre à l’édifice. Petit cas particulier ici comme il s’agit d’un réalisateur que j’adore (même si je n’ai toujours pas vu Barking Dogs Never Bite et Memories of Murder !) et qu’il traite d’une cause à laquelle j’ai été sensibilisée il y a 2 ans : la souffrance animale, notamment dans les exploitations industrielles. C’est donc ce sujet précis qui me pousse à apporter mon point de vue.

Dès qu’il est question de créature en images de synthèse, on a souvent peur que la bestiole l’emporte sur le casting humain, ou qu’il y ait un déséquilibre. Okja ne tombe pas dans ce piège. Si les effets spéciaux sont brillants, l’interaction avec les acteurs paraît aussi naturelle, sans parler de l’intégration dans le décor. Il y a eu pas mal de progrès depuis The Host. Il faut dire que l’actrice Ahn Seo-Hyun (qui joue le rôle de Mija) participe énormément au capital sympathie du film. Sans elle, je ne pense pas qu’il serait possible de s’émouvoir autant pour le triste sort de Okja. Cette jeune actrice a le jeu le plus juste parmi tous les membres du casting, sa spontanéité et sa sincérité sont tout ce qu’il y a de plus crédibles. J’apporte toutefois un bémol puisque je trouve son personnage un peu pauvre. En effet, j’ai eu l’impression que sans Okja, Mija n’est rien. Littéralement. Chacune de ses actions est liée de près ou de loin au sauvetage de Okja. Et avant le drame, pas une seule fois on n’a pu voir la jeune fille en tant qu’individu, avec ses propres réflexions, sans lien avec Okja.

Image : Okja réalisé par Bong Joon-Ho (2017)

Alors oui, c’est le thème du film cette bête et toutes les passions qui se déchaînent autour. Tous les personnages sont très caricaturaux, c’est l’effet recherché semble-t-il. Mais ajouter une couche au personnage de Mija aurait changé la donne, du moins pour ma part. Il suffit de voir le personnage de Jay, interprété par Paul Dano. Avec Mija, Jay me semble le plus abouti. Peut-être parce que je comprends et partage quelques-unes de ses convictions ? Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé son personnage moins bouffon que celui de Tilda Swinton ou celui de Jake Gyllenhaal. Le Docteur Johnny aurait pourtant pu être plus complexe ou du moins mieux présenté. Par son biais, on aurait pu mieux insister sur le mal-être que vivent aussi les êtres humains au travail, sur la pression qui les rendent cruels et les poussent à se venger sur les animaux. Au lieu de quoi, Gyllenhaal joue un type qui nous fait rire au départ parce qu’il est grotesque, puis qui nous écœure et nous indigne. Je ne remets pas tellement en question son jeu ni celui de Swinton, mais plutôt l’écriture de leur personnage respectif.

J’ai pourtant l’habitude des personnages bouffons comme je regarde pas mal de films coréens. Mais dans ces films justement, tout s’emboîte parfaitement comme c’est un cadre culturel maîtrisé : le film se passe en Corée, avec des codes du cinéma propres aux Coréens, avec des acteurs coréens. Cela semble réducteur ce que je dis, mais comparé à Snowpiercer, Okja a moins bien réussi son métissage. Il y a une coupure trop nette entre la première partie qui se déroule en Corée du Sud et la seconde à New-York. Il y a des tentatives d’humour propres au cinéma coréen : les blagues sur le caca, le cadenas qu’on peut déverrouiller au lieu de le briser, le Ziploc… ou du slapstick comedy, un genre d’humour encore très vivace en Corée (regardez cet épisode de Gag Concert par exemple). Ces passages font mouche mais sont bien moins mis en valeur qu’avec des acteurs coréens.

Au moment où Mija est dans le camion et fait la connaissance des militants, les discussions entre les différents membres sont censées nous faire rire. Par exemple, le fait qu’ils aient comme surnoms des noms de couleur en rapport avec leur cheveux, ou que l’un d’eux refuse de manger ne serait-ce qu’une tomate pour avoir le moins d’impact sur la planète… ces passages ne sont pas hilarants, ils font sourire et c’est tout. Ces acteurs jouant des personnages secondaires ne dégagent pas le même charisme que Oh Dal-Su ou Bae Sung-Woo qui sont abonnés à ce genre de rôle par exemple. Pire, en voyant ces militants, je me suis trop bien rappelée que c’est une production Netflix, et croyez-le ou non, mon esprit vagabondait du côté de 13 Reasons Why ! Quel rapport me direz-vous ? Eh bien j’étais en train d’évaluer le potentiel de leur fandom à chacun… j’avais la même pensée en regardant la série. Et ce genre de commentaire fonctionne pour Okja également : « Tel personnage un peu jeune et cool va avoir une horde de fans à tous les coups… Tiens celle-là aussi avec ses cheveux rouges et le fait qu’elle fasse exploser quelque chose à la fin… »

« Trop swag, tu peux pas test » – Okja (2017) de Bong Joon-Ho

Ce n’était sans doute pas le but de Bong d’alimenter des fandom mais avec des personnages aussi caricaturaux, c’était le risque. On en vient à kiffer un personnage en oubliant le message principal du film… Quel message, d’ailleurs ? « L’exploitation animale, voyons ! » Ce n’est pas si évident pourtant. Prenons le chauffeur de Mirando qui, après les crédits du film, rejoint l’équipe lors de la sortie de prison de Jay. Pourquoi a-t-il rejoint la cause ? Pourquoi a-t-il créé le site « MirandoIsFucked.com » ? Je pense qu’il a trouvé l’action des militants ALF très cool quand ils ont attaqué son camion et c’est tout. Il vient pour l’adrénaline, alors ? Pour la fille aux cheveux rouges ? J’exagère sans doute ou j’ai une vision pleine de préjugés, à vous de commenter si vous le souhaitez et de défendre votre opinion.

Mais pour moi, Okja rate la transmission de son message. On dénonce la surconsommation, le capitalisme, ok. On tape sur les gros industriels qui ne pensent qu’à leurs affaires florissantes, ok. Cela reste très naïf et superficiel, très consensuel sans critiquer un élément d’une importance suprême : les consommateurs, soit le public qui regarde le film. Végétarienne depuis 2015, en deux ans je me suis documentée pour changer mon mode de vie et déconstruire des idées fausses.

Pour revenir au film, on voit juste les consommateurs goûter un échantillon de viande modifiée ou se bâfrer de saucisses lors de la parade à New York. ET C’EST TOUT. Dans l’abattoir, on voit le processus pour étourdir les animaux et avant d’en arriver là on voit les enclos où les animaux sont parqués. On a aussi droit à une scène de reproduction forcée, une scène où Okja est violée, mais on voit surtout la réaction des militants. Pardon d’être grossière mais bordel de merde, chaque année il y a des films hyper violents où on voit des êtres humains se tirer dessus, se poignarder, se torturer sans problème et sans censure. Là on dénonce ce qu’il se passe dans les abattoirs et c’est censuré, filmé avec « pudeur » et j’en passe. Osez me dire qu’on ne ménage pas le public !

« Oooh mais c’est un film, c’est du divertissement ! » Ben merde autant parler d’autre chose alors, parce que sinon je vais finir par croire que Bong Joon-Ho a choisi ce sujet car c’est tendance et que ça rapporte des sous. J’ai beau aimer son travail, je ne peux pas fermer les yeux sur le fait qu’il a visité un abattoir avec le producteur, que tous deux sont devenus vegan pendant deux mois pour replonger dans la viande dès qu’ils sont rentrés en Corée du Sud. Et le réalisateur d’ajouter qu’il essaye de se limiter au poisson maintenant (source). Pour info : les poissons sont des animaux et des êtres sentients, ils souffrent aussi…

Sauf les poissons en sucre évidemment 😀 (film : Hello Ghost réalisé par Kim Young-Tak en 2010)

Je sais que ce n’est pas facile de déconstruire tout ce que la société et nos parents nous ont appris, surtout qu’avec les lobbies alimentaires nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Eh bien c’est là que le rôle d’un film peut changer la donne. Un bon film peut amener à réfléchir, à nous faire prendre nos responsabilités au lieu de se contenter d’incriminer autrui à tout va. Les industriels font de la merde, oui, on le sait tous ! Mais s’ils arrivent encore à vendre de la merde, c’est parce que nous achetons cette merde et que nous la mangeons. Me limiter à vouloir défendre les animaux sans vouloir aider les êtres humains est stupide.

Alors voilà encore un reproche que je fais au film : le personnage du Docteur Johnny ne suffit pas pour montrer tout le stress que vivent aussi les employés dans les abattoirs. On les voit un tout petit peu ces employés, on les entend parler espagnol (quel surprise, on refile le sale boulot aux immigrés comme d’habitude) et on assiste à la confrontation entre Mija et celui qui a failli tuer Okja. Et cette confrontation commençait bien, le gars a arrêté ce qu’il faisait pour regarder la photo, pour faire appel à ses sentiments et ses pensées… et VLAN la méchante jumelle arrive et on rate une scène qui aurait eue plus d’impact que cette négociation avec le cochon en or.

Je sais bien que ma critique est mal foutue, pleine de coup de gueule et pas marrante. Mais j’avais envie de pointer du doigt ces problématiques car il est aberrant qu’aujourd’hui encore en 2017 nous ne soyons pas sensibles à la souffrance de l’autre, qu’il soit un être humain ou un animal. Et j’irai plus loin : nous ne méritons pas d’être si fiers du siècle des Lumières ou même de savoir lire et écrire si nous ne savons pas vivre avec d’autres êtres vivants sans chercher à les massacrer. Sachant qu’on peut très bien manger et trouver tout ce dont notre corps a besoin avec une alimentation végétale.

Je désapprouve l’approche du film, bien trop tiède et timide mais au niveau technique, le réalisateur n’a pas perdu la main. Deux séquences sont mémorables, en partie grâce à la bande-son de Jung Jae-Il. La course-poursuite en camion a un rythme trépidant, avec des cascades encore plus impressionnantes comme c’est la jeune Mija qui est mise en scène. Le segment se poursuit dans le métro et là aussi, c’est typiquement le genre de scène qu’on aime voir dans un film et quand elle est aussi bien réalisée on ne peut être que ravi ! L’autre passage qui m’a marquée se déroule encore dans un camion, sauf que cette fois ce sont des ellipses du point de vue de Mija qui reprend de temps en temps conscience et voit le militant blessé, puis soigné et enfin sur pied. La scène se déroule de nuit et je ne saurais pas mieux décrire que ça mais ce segment est génial (l’éclairage doit beaucoup y jouer aussi, mais je ne suis pas spécialiste…).

The Host et sa scène mythique ❤ (Bong Joon-Ho, 2006)

Bref, ces scènes m’ont rappelée mon amour fou pour le premier film de monstre de Bong : The Host. Je recommande Okja même si je suis assez déçue de ce retour de Bong. J’imagine qu’un petit pourcentage de personnes peuvent éventuellement être sensibilisées via ce film et puis visuellement cela reste tout de même du beau travail. Ce serait de la mauvaise foi de ma part de mettre ce film à la poubelle car il ne le mérite pas.

Pour terminer, quelques compléments pour ceux qui aimeraient se renseigner sur la réalité des abattoirs. Comme nous sommes en France et que de toute façon je ne connais pas bien les autres organismes spécialisés dans les reportages sur les abattoirs, je ne peux citer que L214 qui fait un travail admirable. C’est grâce à leurs vidéos sans censure que j’ai pris conscience de la société malade dans laquelle nous vivons, et que moi aussi, à mon échelle, je peux apporter un changement positif rien qu’en modifiant mes habitudes de consommation (le mouvement des colibris m’a inspirée aussi). Enfin, le clip « My Life’s a Cage » montre sans fard et sans complaisance la souffrance des animaux dans les abattoirs :

P.S : Mon article est trop long mais je voulais aussi mentionner un autre cliché sur les militants, non, ils ne se teignent pas tous les cheveux et n’ont pas tous l’air de sortir d’un film de SF futuriste (pour en avoir vu à des stands une fois, il y a des personnes habillées et coiffées simplement). Voilà :p

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