Insidious : le corps et l’âme

ATTENTION !

En lisant cet article vous risquez de pourrir votre éventuel futur visionnage puisque j’aborde des détails spécifiques du film. Si vous avez déjà vu le film, ma foi, qu’attendez-vous pour lire la suite ?!

Ce film est si surprenant qu’il m’a fallu 11 jours de réflexion pour trouver l’inspiration. L’attente est finie, passons à table. Un peu d’étymologie pour commencer.

  • INSIDIOUS vient du mot français INSIDIEUX (datant du Moyen-Âge)
  • INSIDIEUX vient du latin INSIDIOSUS signifiant « qui tend un piège, perfide »
  • INSIDIOSUS vient du latin, composé de INSIDIAE signifiant « embûche, embuscade, guet-apens » et de OSUS de INSIDEO signifiant « être assis sur/dans » ou « occuper, habiter »

En médecine, insidieux « qualifie une maladie chronique, dont le diagnostic est difficile. » Tambours et trompettes, c’est bien confirmé que le diagnostic/l’avis qu’on peut émettre sur ce film est difficile ! Blague à part, je trouve le titre du film excellent. Est-ce que le réalisateur James Wan a ouvert son dictionnaire de Latin avant de choisir ce mot ? Aucune idée, mais l’essentiel est que ça colle, à tous les niveaux de sens.

  • Le film « piège » le spectateur en le menant par le bout du nez, en bousculant les codes du genre tout en faisant un hommage aux grands classiques.
  • On retrouve dans le sens « occuper/habiter » avec le cas de possession ; quant au sens « être assis sur/dans » ça m’a fait penser à certains tableaux où un démon est assis sur la poitrine d’un dormeur ou d’une dormeuse. Paralysie du sommeil ? On y reviendra.

Pour revenir à James Wan, après le succès de Saw il a voulu prouver qu’il était capable de réussir un film sans passer par la violence et le gore (entretien avec Entertainment Weekly). Rien que pour ça, j’aime déjà énormément ce monsieur – j’ai l’estomac fragile devant la bidoche. S’impliquer dans un film, ce n’est pas jeter des sous à tout va (bien que l’argent soit le nerf de la guerre), non, s’impliquer devrait toujours signifier « participer à la création » C’est le cas ici puisque Wan et Leigh Whannell ont créé l’histoire à deux. Puis les deux compères ont coupé la poire en deux, Whannell a écrit le scénario et Wan l’a réalisé. C’est beau le travail en équipe. Wan et Whannell. Whannell et Wan. Même leurs noms de famille se ressemblent. Bromance. Hum, pardon, je m’emballe.

Mais la bromance le travail d’équipe ne s’arrête pas là ! Le scénariste Leigh Whannell joue le personnage de Steven ‘Specs’ dans le film ! Et je ne pense pas que ça soit un hasard qu’il joue un chasseur de fantômes, un personnage secondaire qui par sa position en retrait, n’est pas différent d’un scénariste. On oublie trop souvent les personnes qui travaillent dans les coulisses, alors que sans eux, pas de film ! Bref, pour en revenir à ce chasseur de fantômes, c’est un personnage drôle (il a un acolyte du même acabit), qui fait un peu tache dans ce film à l’ambiance oppressante. Je trouve pourtant que ces petites touches d’humour nous font ressentir encore plus la peur des personnages, c’est la magie du contraste.

D’autant plus qu’un autre membre de l’équipe technique a pris son travail à coeur. Je parle du compositeur Joseph Bishara qui a élaboré un thème musical très vieille école, qu’on retrouve en début et fin de film. Une musique plutôt aggressive qui m’a fait sursauter au début du film. Quand je pense à ceux qui l’ont vu en salle… je rigole. Beaucoup ont dû sauter dans leur fauteuil. Non seulement Bishara assassine nos oreilles mais en plus il s’imprime sur nos rétines en apparaissant dans le film sous la forme du démon qui traumatise la famille.

Car le réalisateur a opéré le choix périlleux de montrer la source de la peur, soit toute une armada de démons, fantômes et autres choses joyeuses qu’on voit apparaître de manière plus ou moins claire tout au long du film. Si j’ai frissonné pendant la première partie du long-métrage, durant la seconde moitié j’étais partagée entre déception, incompréhension et rires. Beaucoup ont déjà pointé du doigt les « défauts » de Insidious, comme quoi il aurait fallu suggérer et non pas montrer, que le maquillage était un peu moche (du moins, il y a une des entités qui m’a rappelée le catcheur Undertaker, là, j’ai fini par rire) et autre critique intéressante que j’ai pu lire : si Insidious avait bénéficié d’une promotion différente, s’il avait été vendu comme un film fantastique plutôt que comme un film d’horreur, l’accueil aurait été plus chaleureux. Ces critiques sont valables. J’aimerai ajouter ma pierre à l’édifice en décortiquant le film via différents concepts.

« Et lorsqu’enfin je succombais au sommeil, ce n’était que pour être emporté dans un monde de fantômes, au dessus duquel, avec ses ailes vastes et sombres, couvrant tout de leur ombre, planait seule mon idée sépulcrale. » Extrait de L’ensevelissement prématuré d’Edgar Allan Poe.

A mes yeux, Insidious mérite son qualificatif de film d’horreur, mais une horreur psychologique basée sur du fantastique. C’est une peur très ancienne finalement qui est mise en image, dans la littérature on retrouve des thèmes similaires.

Par exemple Edgar Allan Poe en 1844 publie une nouvelle intitulée L’ensevelissement prématuré où il décrit plusieurs cas de personnes enterrées vives. Stephen King en a également fait une nouvelle intitulée Salle d’autopsie quatre (recueil Tout est Fatal, 2002). Ce « locked-in syndrome » ou en français « syndrome d’enfermement » est décrit de la manière suivante : « un état neurologique rare dans lequel le patient est éveillé et totalement conscient – il voit tout, il entend tout – mais ne peut ni bouger ni parler, en raison d’une paralysie complète excepté le mouvement des paupières et parfois des yeux. Les facultés cognitives du sujet sont en revanche intactes. » Cette peur d’être enterré vif (taphophobia en grec), d’expérimenter une paralysie tout en étant conscient n’est pas sans rappeler la paralysie du sommeil. Pour l’instant je n’ai fait que décrire ce qui arrive au corps. « Mais en attendant, où était l’âme ? » dixit Poe dans sa nouvelle.

Retour au film et au cas de Dalton. Ce dernier n’expérimente pas le syndrome d’enfermement mais une expérience de hors-corps (terme utilisé pour la première fois par George N. M. Tyrrell en 1943). Tel les Thanatonautes (roman de 1994, mêlant science et fantastique) de Bernard Werber, l’âme de Dalton quitte provisoirement son enveloppe physique et part voguer dans le monde des illusions, des morts. Le fameux plan astral. Mais qu’est-ce que c’est, au fait ? Le plan astral est un des 7 plans introduits par la Société théosophique. Vous n’avez rien compris ? Ok, on rentre dans les détails.

La Société théosophique est une association internationale qui part du principe théosophique selon lequel les religions et les philosophies possèdent un aspect d’une vérité plus universelle. Si j’ai bien compris (j’espère ne pas raconter de bêtises), chaque religion et chaque philosophie possède un bout de puzzle. D’ailleurs, cette Société est syncrétique (soit un mélange d’influences, rappelez-vous du puzzle !) puisqu’elle mêle bouddhisme, hindouisme, ésotérisme et autres traditions religieuses.

Les 7 plans identifiés par cette Société sont les suivants :

  1. plan physique : monde matériel
  2. plan éthérique : force vitale
  3. plan astral : monde des illusions, des morts
  4. plan mental : pensées
  5. plan causal : archétypes
  6. plan bouddhique : lieu de béatitude
  7. plan âtmique : fond divin de toutes choses (concept philosophique indien)

Insidious ne traite que du plan astral. Lorsque Dalton s’y rend, il laisse son corps « vide » derrière lui, ce qui attise la convoitise d’entités malfaisantes. Certaines sont plus faibles que d’autres, se contentant d’apparaître sporadiquement et de ficher la frousse aux protagonistes. Celles qui sont plus puissantes ne rigolent pas en revanche, elles ont plus de prise sur leur environnement et empêchent le pauvre Dalton de réintégrer son corps. Pour réaliser ce sauvetage, la famille fait appel à Elise une sujet-psi, soit une personne ayant des perceptions extrasensorielles. Je trouve ce passage passionnant dans le film car on sort du schéma traditionnel.

En effet, Insidious fait fort en cassant plusieurs clichés du genre. Tout d’abord, ce n’est pas la maison qui est hantée mais un enfant. D’ailleurs, l’affiche du film vend la mèche avec sa phrase d’accroche et la photo du gosse, ce qui est dommage. Qui dit apparitions, possession et fantômes, dit exorcisme. Là encore, le réalisateur et son scénariste ont bien bossé. On assiste à l’intervention d’une personne extérieure censée apporter la paix sauf qu’on ne reste pas sagement assis dans la pénombre du salon, en cercle et en se tenant par la main. Avec le plan astral, on passe de l’autre côté… et cette chère Elise aura beau aider, le père de famille doit mettre les mains dans le cambouis s’il veut sauver son fils.

Pour finir, ce premier volet d’Insidious peut paraître confus (comme mon article…) et multiplier les répétitions dans ses scènes et jumps scares. J’étais assez mitigée après le visionnage du film cependant lorsqu’on enchaîne avec le second volet, tout fait sens. Mais ça, c’est une autre histoire qu’on verra plus tard. Espérons que ça ne me prenne pas à nouveau 11 jours !

Sources : j’ai pioché dans la page Wikipédia FR/ENG du film. Pour les définitions techniques, j’ai regardé la page Wikipédia des termes qui sont en gras dans l’article.

Bonus : lire ici le texte intégral de la nouvelle de E. A. Poe. Pour en savoir plus sur le cas d’une personne ayant été enterrée vive, par ici. J’ai oublié de parler du roman Insomnie de Stephen King (publié en 1994) qui a en commun avec Insidious cette histoire de sommeil/accès à un monde parallèle. Une lecture que je recommande vivement !

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